Article Lemonde.frhttp://www.lemonde.fr/sports/article/2008/02/29/ces-combats-entre-supporteurs-loin-des-stades_1017341_3242.html#ens_id=1012466
Les débordements des supporteurs d'équipe de football ne sont pas chose nouvelle : chaque saison du championnat de France amène ainsi son lot de violences, dans les stades et alentour. Un phénomène, cependant, prend de l'ampleur, en même temps que les bagarres dans les enceintes se font rares. Il s'agit des "fights", qui opposent deux - ou plus - bandes de supporteurs rivales, parfois très loin des stades (terrains vagues, aires d'autoroute...).
La 27e journée de Ligue 1, affirme L'Equipe Magazine du 23 février, fait l'objet d'une surveillance particulière. Trois groupes de supporteurs dits "indépendants", venant de Lyon, Lille et Paris, envisageraient de s'affronter à l'occasion de la rencontre Lille-Lyon, qui doit se jouer au Stade de France, à Saint-Denis, samedi 1er mars. Selon nos informations, un autre affrontement pourrait avoir lieu entre des supporteurs de Saint-Etienne et Nice, à l'occasion de la rencontre entre les deux clubs, dimanche. Les Stéphanois pourraient être épaulés par... des Lyonnais, pourtant rivaux historiques. Ces derniers sont entrés en conflit avec leurs homologues niçois le 15 septembre 2007, en leur volant sur une aire d'autoroute une banderole.
"Pour l'instant, nous n'avons aucune précision à apporter à ces informations. Mais nous demeurons bien sûr extrêmement vigilants. Comme à chaque journée de championnat", affirme Michel Lepoix, coordinateur national pour la sécurité dans les stades.
Les "fights" ne sont pas une nouveauté. "Mais, aujourd'hui, ils ne sont plus spontanés, ils sont organisés", explique Thierry D., un hooligan repenti. "En fait, ils existent depuis que le service d'ordre est efficient, confirme Dominique Bodin, maître de conférences à l'université Rennes-2 et spécialiste du supportérisme. Ils mettent aux prises d'authentiques supporteurs, viscéralement attachés aux couleurs de leur club, qui utilisent la violence pour s'exprimer."
"INUTILE D'ÊTRE NOMBREUX"
Chassés des tribunes, ces derniers se sont adaptés, en trouvant de nouveaux terrains d'affrontements. "La réponse sécuritaire a permis de préserver l'ordre en public et non l'ordre public", analyse Dominique Bodin. Les points de rencontre sont fixés au dernier moment par téléphone entre les représentants des factions opposées ou via les forums sur Internet. Les membres, sans signes distinctifs, sont difficiles à repérer.
Depuis le début du championnat, une quinzaine de confrontations ont été répertoriées. Niçois contre Lyonnais, donc, le 15 septembre. Le 24 novembre, la police a déjoué un combat entre 80 fans de Nancy et de Lille. Le lendemain, sur une plage d'Antibes, elle n'a pu qu'écourter une bagarre entre Niçois et Parisiens. Bilan : cinq blessés dus à l'utilisation d'armes blanches. Samedi 12 janvier, 18 personnes ont été interpellées à Caen après des heurts entre des supporteurs locaux et nancéens...
"Par rapport à l'Europe de l'Est ou l'Italie, la France est beaucoup moins affectée, tempère Michel Lepoix. Mais la recrudescence de ce genre d'affrontements nous incite à la plus grande prudence." Selon Dominique Bodin, le phénomène n'est pas marginal : "Il existe des "indépendants" dans quasiment chaque club professionnel. Inutile d'être nombreux pour passer à l'acte." James, "indépendant" de l'AS Saint-Etienne, confirme l'analyse : "Je ne participe pas aux "fights" mais je sais qu'il y en a régulièrement. Chaque week-end, je dirais. On en parle peu, car la violence est tenue à l'écart de l'aire de jeu."
Selon Dominique Bodin, le phénomène n'est pas combattu efficacement. "Aucune prévention n'est faite, dit-il. Les pouvoirs publics, comme les présidents de clubs, ont laissé les supporteurs devenir des acteurs majeurs du football. Aujourd'hui, ils voudraient les faire taire. Ce n'est pas possible."
Le sociologue prône la tenue d'une grande table ronde (politiques, sociologues, police, journalistes...), pour trouver des solutions afin de mieux insérer ces supporteurs "déviants" dans un public moins communautaire. Cela passe, selon lui, par des enceintes pensées autrement (public féminisé, réforme du bâti pour modifier la sociologie des emplacements...). Il souhaite l'ouverture d'une réflexion en amont et le durcissement de la politique répressive. "Si l'on veut s'attaquer véritablement au problème, dit-il, il faudra passer par cette double approche."
Julien Renon
Article paru dans l'édition du 01.03.08.
Certains passages sont irresistibles