"VERS PLUS DE RÉPRESSION ?
Par Alexis BILLEBAULT-La France a longtemps cru que cela n'arrivait qu'aux autres. Désormais, les pouvoirs publics et les clubs semblent avoir compris que le hooliganisme la concernait également. Les actes racistes existent, les fights se développent et des groupes se radicalisent. Pour combattre la violence, un arsenal juridique existe, mais des voix s'élèvent pour encore plus de fermeté.
Le racisme a justifié une visite gouvernementale à un joueur de L1, Abdeslam Ouaddou. (L'Equipe)
1. Le racisme en hausse ?
Il y avait eu l'affaire Kébé I lors du match aller entre Libourne Saint-Seurin et Bastia, fin septembre. Fin février, après de longs mois sans incident raciste révélé, le football français a été secoué par deux cas de racisme ordinaire : l'affaire Ouaddou, insulté par un ''supporter'' lors de Metz-Valenciennes (le 16), et l'affaire Kébé II, visé par une banderole d'une haute teneur intellectuelle à Furiani lors du match retour entre Bastia et Libourne Saint-Seurin (le 22). «Les banderoles, c'est une nouveauté, reconnaît le capitaine de police Sylvain Husak, chargé du Point National d'Information Football et proche collaborateur de Michel Lepoix, le monsieur sécurité du football français. Jusqu'à maintenant, les actes racistes étaient matérialisés par des insultes ou des cris de singe.» A Bastia, les caméras de surveillance de Furiani sont malencontreusement tombées en panne au moment où la banderole était déployée. «C'est très étonnant», ironise un proche du dossier.
«Cette saison, il y a eu déjà cinq interpellations pour dérives racistes, contre trois en 2004-2005 et cinq lors des deux saisons suivantes», énumère Sylvain Husak. Le week-end dernier à Valenciennes, un supporter a été interpellé pour insultes racistes, et le Sénégalais de Bastia Frédéric Mendy en aurait été victime lors d'un récent Grenoble-Bastia. «Le problème en France, c'est qu'il n'est pas évident de compter sur l'aide des spectateurs pour dénoncer un individu qui a dans une tribune un comportement raciste ou violent. Dans notre pays, cela s'assimile à de la collaboration, alors qu'en Angleterre, c'est quelque chose de courant et d'efficace», regrette en off un gradé. Dans l'entourage du secrétaire d'Etat chargé des sports Bernard Laporte, l'arrêt des matches perturbés par ces manifestations nauséabondes est fortement souhaité.
2. Le phénomène des ''fights''
En théorie, les fights entre supporters se déroulent selon des codes précis. Ils ne concernent que des acteurs consentants, qui se battent à mains nues sans s'acharner sur un adversaire à terre. «Il s'agit de prendre le dessus rapidement sur un groupe. Les bagarres sont violentes, mais courtes. Le problème, c'est que certains viennent avec des armes blanches», constate Sylvain Husak. Les fights, qui ont lieu assez loin des stades (terrains vagues, parkings, aires d'autoroute) sont le plus souvent empêchés ou interrompus par la police, qui s'appuie sur les différentes informations qu'elle reçoit. «Les fights, cela fonctionne par période, il existerait même un sorte de championnat. Nous faisons tout pour les empêcher, et nous en empêchons beaucoup», poursuit le policier. Une version contestée par certains adeptes. «Les flics n'interviennent pas toujours. Parfois, ils sont au courant, mais ils laissent faire. Cela les arrange que des hools se foutent sur la gueule», explique l'un d'eux. «C'est faux ! Nous passons beaucoup de temps à essayer de les empêcher. Laisser ces gens se battre serait l'antithèse de notre mission. Et les dommages collatéraux sont toujours possibles.» Aux Pays-Bas, les hooligans ont commencé à développer une nouvelle mode : les fights n'ont plus systématiquement lieu quelques heures avant les matches, mais trois ou quatre jours plus tôt. «On va rester attentifs, mais je ne pense pas que les indépendants français adeptes des fights adoptent ce genre de comportements», dit Sylvain Husak.
3. Des groupes (et des jeunes) qui se radicalisent
Le Conseil de l'Europe a classé les supporters en trois catégories : A : Le public dit familial, majoritaire et qui ne pose aucun problème. B : Un public le plus souvent festif, mais qui peut tendre vers l'agressivité selon les circonstances (alcool, résultats sportifs, provocations d'autres supporters). «Les ultras peuvent basculer dans cette catégorie», relève Sylvain Husak. C : Ceux qui viennent seulement pour les affrontements avec d'autres supporters ou avec les forces de l'ordre. Autrement dit les hooligans. En France, l'opinion publique emprunte des raccourcis pour identifier ce qu'est un mot ''hooligan''. Les sociologues spécialistes de la question insistent régulièrement pour éviter de tomber le piège de l'amalgame. «Pour faire court, le spectateur qui allume un fumigène sans l'envoyer sur le terrain, l'autre qui balance sur gobelet en plastique sur la pelouse ou celui qui insulte son voisin parce qu'ils ne sont pas d'accord sur une décision arbitrale n'est pas forcément un hooligan, énonce Nicolas Hourcade. La problème en France, c'est que les statistiques sur le hooliganisme comprennent les jets de projectiles, les insultes aux policiers et les agressions physiques par exemple. Or, ces motivations ne sont pas les mêmes. Un hooligan vient au stade pour se battre contre ses semblables.»
Le territoire français est maillé par des ''correspondants locaux hooliganisme'' du ministère de l'Intérieur, là où se trouvent des clubs de L1 et de L2. «Les hooligans parisiens sont les plus dangereux. Mais ailleurs, des groupes se sont constitués et évoluent dans la périphérie de ceux qui existent déjà. Ils développent une nouvelle forme de violence, plus radicale. Le plus inquiétant est la jeunesse de ces hooligans. Ils ont souvent entre 15 et 19 ans.» Si ces young firms n'intègrent pas des groupes connus, c'est parce qu'ils refusent de se plier à leurs règles. «Mais pas seulement, reprend Sylvain Husak. Dans certains cas, ces jeunes doivent faire leurs preuves avant d'être recrutés.» Sans citer de noms, le ministère de l'Intérieur admet avoir dans le collimateur quelques groupes officiels et réputés pour leurs tendances violentes. «Certains de leurs membres posent de gros problèmes.»
4. Des ''IDS'' de stades plus longues ?
En France, si les interdictions judiciaires peuvent grimper jusqu'à cinq ans, les interdictions de stade administratives prononcées par les préfets ne peuvent excéder trois mois. Bernard Laporte souhaite les étendre à un an et Frédéric Thiriez, le président de la LFP réclame davantage de sévérité, via une loi. Avec 80 interdits de stade, la France est loin de l'Angleterre et de ses 3500 bannis. «Trois mois, c'est trop peu, et même six mois, comme il en est question. Une saison complète, c'est plus dissuasif», affirme-t-on dans l'entourage du secrétaire d'Etat. L'Hexagone compterait environ 500 individus dangereux connus des Renseignements Généraux. La majorité de l'opinion publique dit tout haut ce que des policiers croisés autour des stades pensent tout bas. «Avec ces débiles, il n'y a que deux solutions : leur rentrer dedans, puisqu'ils ne connaissent que la violence, et prononcer des peines de prison et d'interdictions dissuasives», nous confiait, le 9 décembre dernier, un fonctionnaire de police rencontré lors d'un match entre Auxerre et le PSG marqué par des affrontements entre hools parisiens et forces de l'ordre. «Il faut de la répression, mais aussi de la prévention», nuance Sylvain Husak.
En Angleterre, les interdictions de stades sont plus longues. Parfois à vie. Et du côté du ministère des Sports, on aimerait que la loi de 2006 sur la dissolution des groupes violents soit un peu plus souvent utilisée. «Ces dernières années, deux groupes ont disparu : les Mystics Tigris à Paris, et la Faction à Metz. Mais ils ont prononcé eux-mêmes leur dissolution», grince-t-on au ministère des Sports. «Ils en sont arrivés là parce qu'ils connaissaient les menaces qui pesaient sur eux», rétorque Sylvain Husak. Les composantes des pouvoirs publics, qui ne sont pas toujours d'accord entre elles, et les clubs, qui achètent parfois la paix sociale en fermant les yeux sur les attitudes de quelques individus, passent une partie de leur temps à se renvoyer la balle. «C'est hélas le cas. Cela manque de cohérence, alors que tout le monde devrait faire cause commune face à ce fléau», admet un spécialiste du hooliganisme. En France, le hooliganisme, c'est encore les autres.
SOURCE : l'équipe